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Natuo est le nom choisi avec mon frère pour ce Melody sorti des chantiers Jeanneau en 1977. Double hommage à nos origines paternelles corses et maternelles Normandes. Où est le lien me direz-vous ? "Néhou", nom de ce petit village du Contentin où nous vécumes tous deux dans notre tendre enfance chez Mémère Jeanne, trouve en fait sa traduction dans l'île de Beauté par "Natu o". Mais c'est sous le signe de Chaphil que pour ce premier voyage il voguera vers le port de Meze, car s'approprier un bateau en le rebaptisant ça ce mèrite et cha file pour un Ch'ti d'adoption ça a de la gueule, non ?

Le début de l'après

Venu sur les hauteurs de Bonifacio pour écouter la musique immuable des vagues, il les regardait se fracasser sur des falaises de gré ciselées par des millénaires de fureur, admiratif devant l’équilibre improbable d’un village suspendu, sur l’autre flanc d’une anse déchiquetée, entre la roche et les nuages. A la lisière du vide, une faible lueur émergeait d’une bâtisse posée là par l’homme pour narguer l’éphémère de la matière. Elle semblait scruter les ténèbres des Bouches acérées où jadis sur les roches des Lavezzi, était venue s’éventrer l’arrogante Sémillante, peut-être aussi pour rappeler aux navigateurs égarés, que sans port d’attache, un navire n’a pas de destination. C’est ce qu’il aima ce faire à croire dans une pensée fugace, un jour, il investirait cette demeure pour en faire son havre de paix.
Campé sur le balcon du sentier marquant la fin des terres Corse, là où elle se précipitent sauvagement dans la mer pour rejoindre la Sardaigne,en cette soirée d’hiver, que sous d'autres contrées il aurait trouvée maussade, alors que les embruns se mêlaient à une fine pluie pour lui fouetter le visage, il avait l'âme vagabonde, sillonant la plénitude d'une solitude assumée et l'envie de partage. Le passé interrogeait l'avenir dans un présent en suspension, c’était celui d’un bleu crépusculaire suggérant la sérénité.
L’air était doux, le soleil prenait ses quartiers d’hivers en mêlant ses couleurs d’ambre à l’ocre des collines quand il fit son premier pas sur île de ses hypothétiques ancêtres. Il avait pris soins de quitter l’avion en dernier, pour mieux prendre la mesure de cet instant qu’il souhaitait de recueillement, celui qu’il savait n’avoir jamais daigné ou osé accomplir. Quelques minutes auparavant, après avoir longé des côtes de dentelle dessinées par la fantaisie d’un créateur fou, le bimoteur dans lequel il avait pris place à Nice, s’était incliné légèrement vers l’intérieur des terres pour saluer les montagnes couronnées de neige, une courte et étroite bande grisâtre était apparue dans la plaine quasi déserte. L’imminence de l’atterrissage à Figari l’avait rendu fébrile, non qu’il fût impressionné par cette délicate descente en palier invitant l’appareil à un vouvoiement respectueux des massifs rocailleux, mais il avait l’intuition qu’approchait un moment important, celui pour lequel il avait certainement fini par entreprendre ce pèlerinage, toujours repoussé, vers les terres paternelles.
Sur le tarmac, abandonné par les autres passagers, il éprouva la sensation étrange, qu’en cet instant banal entre tous, il se libérait d'un fardeau : qu'il fut de là ou d'ailleurs n'avait plus d'importance, il y était, et ce paysage, annonciateur d’autres perspectives , lui plaisait.
Il prit ensuite un taxi pour se rendre du petit aéroport aux bassins de Bonifacio. Durant le court trajet, les yeux écarquillés, il goûta la quiétude de cette campagne vierge de toute habitation. La route serpentait dans la garrigue rougie par le soleil couchant, les virages révélaient de temps à autres des criques aux flots argentés dans lesquelles il se promit de venir jeter l'ancre. Naguère il aurait aimé dire au chauffeur – vous savez, je suis d’ici – mais il se tut car pour la première fois de sa vie il sentit qu’il était chez lui, d’un quelque part qu'il n'avait plus besoin d'identifier et revendiquer.
Le port s’abandonnait au soir sous le sourire d’une demi-lune bienviellante quand il parvint au ponton où était amarré Eole. C’est sur ce voilier sur lequel il allait passer la nuit, ainsi que celles de la semaine suivante. A quai, depuis le début de l’hiver, il avait certes besoin de reprendre la mer, mais le marin était venu là en éclaireur, désigner la route au terrien, il présageait qu’avant de peut-être y poser ses vieux jours, cette île, il lui faudrait d’abord la humer par le large, en prendre la dimension, l’effleurer et en deviner les ressources.
Il posa ses bagages dans le navire vide de ses futurs équipiers, puis décida avant d’aller se restaurer d’investir les hauteurs situées de l’autre côté du bassin, de gravir cet escalier qu’il devinait rejoindre le fort juché une centaine mètres plus haut. Impatient, il ne voulait pas attendre les lumières de l’aurore pour découvrir le village, mais le respirer dès ce premier soir, sans témoin, entre chien et loup. En s’élançant vers sa destination, il n’était pas dupe du caractère symbolique de ce retour à des sources inconnues, mais il était habité d’une conviction paradoxale -c’est ici, et nulle part ailleurs qu’il accepterait de ne plus chercher à savoir qui il était pour enfin être. Il était conscient d’avoir par trop tarder. Il se remémora alors cette citation offerte par une amie « Après avoir donné des années à la vie, il faut savoir donner de la vie aux années ». Plus tard, il se rappellerait que c’est là, en ce lieu, en cet heure, que l’après avait débuté, par un coup de foudre

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guylene jan

Le début de l'après
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